Chapitre 1-1 : La mystérieuse passagère rousse
MOT DE L'AUTEUR
J'ai commencé à écrire cette histoire, quelques années après avoir fait une rencontre qui a changé ma vie. Malgré la distance que nous avons toujours gardé dans notre amitié, cette personne a beaucoup compté dans mon évolution de jeune adulte. Elle m'a enseigné quelque chose d'inestimable, et "Please don't die" est ma manière de la remercier, en sensibilisant le public sur une question qui lui tient à cœur. L'un des personnages est d'ailleurs en partie inspiré par elle.
À travers cette œuvre, je souhaite aborder le thème de la dépression, une problématique qui touche beaucoup de gens à cette époque. J'espère que cette fiction pourra apaiser les lecteurs et qu'elle les aidera dans leur cheminement personnel.
Ne perdez pas espoir, la lumière nous attend toujours au bout du tunnel !
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— Protège-toi avec ton bouclier ! ... Sors ton arme ! ... Place deux coups et recule ! ... Bois une potion !
Il continuait inlassablement à donner des instructions dans un rythme effréné. Et à chacun de ses ordres, le soldat en armure s'exécutait aussitôt, lui accordant une confiance aveugle. Les ténèbres entouraient le duo dans son long périple vers l'inconnu, et seule une minuscule fée, brillant telle une lanterne, leur permettait de s'orienter. Lors des combats, la lumière se mettait à clignoter et à virevolter, perturbée par la violence des coups d'épée et des chocs sur les boucliers. Alors, pour l'observateur attentif, seuls le fracas des armes, les cris de son personnage et les reflets sur l'armure en acier lui permettaient de suivre l'action.
Une coupure, tout aussi soudaine qu'étrange, interrompit leur marche dans l'immense terre enneigée de Frostenheim.
Le duo se retrouva alors au sommet d'une montagne, confronté à un gigantesque dragon. La bête se dressa et déploya ses ailes dans un fracas assourdissant, faisant vibrer l'air autour d'eux. Ses yeux incandescents fixaient le duo d'un regard menaçant, et son souffle brûlant provoquait la fonte de la neige sous ses pattes. Visiblement, le monstre semblait prêt à attaquer.
Suite à une nouvelle instruction du joueur, le soldat sortit un arc de son équipement et tira des flèches de glace. Mais cette tentative désespérée n'infligea aucune blessure au terrible boss, dont la puissance et la défense dépassaient de loin les capacités du guerrier en armure, encore trop peu expérimenté pour affronter un tel adversaire.
Mort par brûlure, mort par chute accidentelle, mort par écrasement... Les échecs se multipliaient pour le pauvre soldat dans ce combat sans merci. Et à chaque fois, il fallait tout recommencer. Tout le long périple dans les ténèbres, toute la succession de combats fastidieux, toute la périlleuse exploration jusqu'à la montagne.
Et là, contre le boss, la mort le frappait de nouveau.
Une impatience grandissait chez le joueur, qui lui ordonnait d'esquiver les faibles mobs, afin de prendre le chemin le plus rapide vers l'ascension montagneuse. Mais c'était courir encore plus vite vers la défaite... Le manque d'expérience, d'armes et d'objets rendait le combat contre le dragon presque impossible !
Sans surprise, les Game Over s'enchaînaient, et à l'approche du vingtième échec successif, un événement s'apprêtait à bouleverser l'association du duo.
Pour la première fois, le soldat agonisant ôta son casque de métal avant de s'effondrer au sol, la cage thoracique déchiquetée par les griffes de la bête. Un flux de sang s'écoulait de son armure et à chaque toussotement, un filet rougeâtre s'échappait de ses fines lèvres.
En réalité, le soldat s'avérait être une frêle jeune femme. Elle était brune, aux yeux noirs, et portait un petit grain de beauté sous l'œil droit. Son teint d'une blancheur extrême ainsi que son regard empli de détresse trahissaient la terrible douleur qu'elle endurait.
La mourante prit une inspiration complète, se préparant à utiliser ses dernières forces afin d'accomplir un geste inédit.
De sa propre initiative, elle se tourna lentement vers le joueur afin de lui parler.
— Même dans un jeu vidéo... tu es incapable de me protéger, Sena... ! Tu n'es qu'un menteur qui ne tient pas ses promesses !!
Sena se réveilla en sursaut.
Il était assis sur l'une des places en tissu moelleux de la rame de métro. Des travailleurs en costume, des lycéens en uniforme, et une multitude d'inconnus au visage figé l'entouraient. Peu à peu, le jeune homme reprenait ses esprits. Il était sept heures du matin, et il se rendait au bureau, comme une grande partie des passagers du wagon.
— Encore ce rêve ? souffla-t-il, fatigué.
Le voyageur avait vraiment eu l'impression de se trouver dans un autre monde... Deux minutes après son réveil, il était encore troublé par ce songe aux sensations étrangement authentiques. Dans le même temps, sa tête restait engourdie, à cause du manque de sommeil de ces derniers jours et des mouvements réguliers de la rame.
Le train, bondé mais silencieux, roulait sur une longue section à ciel ouvert en suivant le tracé habituel de la ligne Yamanote. À travers les larges fenêtres, des immeubles se succédaient sans fin, mêlant architectures modernes et façades vieillissantes, entrecoupées d'espaces verts où des arbres dénudés s'élevaient comme des sculptures figées. Parfois, le paysage était masqué par un autre train surgissant sur la voie adjacente. Le véhicule projetait une ombre dans le wagon, puis s'éclipsait aussi rapidement qu'il était arrivé, dévoilant de nouveau Tokyo, qui défilait sous un ciel d'un bleu pâle encore voilé par la brume matinale.
Il ne restait plus que deux arrêts avant Shinjuku Station. En attendant leur gare de destination, la majorité des voyageurs avait les yeux rivés sur leur téléphone. Les quelques réfractaires lisaient un livre, un magazine, ou bien fixaient le vide d'un regard morose tout en évitant celui de leurs voisins. Imitant ces derniers, Sena chercha aussi un point à fixer. Il tourna la tête vers la droite et s'attarda finalement sur une jeune femme rousse, assise quelques places plus loin.
Elle était l'exception à cette scène ennuyeuse du quotidien, de par sa teinture atypique, sa tenue entièrement noire et son occupation insolite. En appuyant ses avant-bras sur ses cuisses, cette étonnante passagère dessinait tranquillement sur un carnet à croquis, alors que le casque blanc couvrant ses oreilles l'isolait de la foule environnante. Avec un splendide sourire aux lèvres, elle semblait savourer un instant d'inspiration, tandis que sa main droite glissait avec précision pour ajouter les dernières touches de couleur à sa création. Intrigué, Sena se redressa afin de jeter un coup d'œil au dessin.
Il n'avait jamais rien vu de tel ! De par l'énergie qui s'en dégageait, ce croquis donnait l'impression de transcender le papier. Le premier plan de la feuille était parsemé de flocons de neige aux couleurs pastel : roses doux, bleus apaisants, verts délicats et jaunes lumineux. En arrière-plan, un paysage nocturne était illuminé par une aurore boréale éclatante. Et au bas de l'image, une femme au style médiéval, levait ses yeux vers ce spectacle arc-en-ciel, alors que ses longs cheveux et une nuée de flocons étaient emportés par un puissant souffle.
La femme était le point le plus intriguant de ce dessin... En effet, au milieu de cette explosion de couleurs, seul ce personnage demeurait en noir et blanc. C'était comme si le mouvement d'air avait emporté ses émotions et son énergie, avant de la laisser cruellement en marge de ce monde fabuleux. Une vive tristesse envahit Sena en observant ce contraste saisissant...
Il était surprenant qu'une personne puisse produire une telle œuvre d'art en si peu de temps, surtout dans un lieu aussi inconfortable et bondé qu'un métro. Le jeune homme semblait être le seul passager à avoir remarqué cette prouesse. Il hésitait à interrompre la mystérieuse artiste pour lui demander l'exacte signification de son dessin, qui, en quelques instants, avait dissipé le souvenir du lourd rêve qu'il venait d'expérimenter. Il réfléchissait à la meilleure manière de l'aborder, alors que celle-ci avait presque terminé sa touchante création. Mais avant qu'il n'ait pu trouver les mots adéquats, le signal de la station retentit dans la rame.
— Shinjuku Station, Shinjuku Station ! annonça la voix du haut-parleur.
Les portes s'ouvrirent et une vague de voyageurs sortit du train. Sena et l'inconnue se levèrent aussi. Toutefois, en quittant le wagon, il remarqua que la jeune femme avait simplement changé de place pour une autre plus isolée. Pendant que la foule se dispersait autour de lui sur le quai, Sena demeura figé, ses yeux rivés sur le véhicule qui reprenait doucement son voyage. À travers la vitre, il aperçut une dernière fois la femme rousse, penchée sur son croquis. Son doux sourire s'était envolé, et d'une façon déconcertante, des larmes silencieuses coulaient sur ses joues.
Le train s'éloignait.
Toujours immobile, le jeune adulte fut frappé par un terrible regret. Cette dernière vision lui avait confirmé l'existence d'une mélancolie chez cette femme, une mélancolie qui semblait résonner avec son propre quotidien. L'âme de Sena avait ressenti l'irrésistible besoin de lui parler, comme si les deux passagers auraient pu se comprendre et s'apaiser avec un regard, un sourire, quelques paroles, et un au revoir. Pourtant, après plusieurs minutes d'hésitation, il avait gardé le silence...
Et maintenant que le train avait disparu au loin, il était trop tard... Dans une ville de quatorze millions d'habitants, il était presque certain que Sena ne reverrait plus jamais la mystérieuse rousse, ni son art si singulier.
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