1 - L'otaku et la déléguée


C'était enfin l'heure du déjeuner.

Les élèves de la classe 2-C profitaient paisiblement d'un repas mérité après une matinée bien remplie. Les troupes semblaient se porter au mieux tandis que le week-end approchait à grand pas.

C'est alors qu'au milieu de la salle, Kaya Sakurai fut frappée par un terrible sentiment de désespoir... La jeune fille poussa un cri de frustration puis prononça quelques mots de mécontentement, qui ne manquèrent pas d'attirer l'attention de ses camarades. Avec effroi, la sublime et brillante déléguée de la classe venait de remarquer l'oubli de sa précieuse boîte à repas...

La jeune fille se mit à fouiller son sac, son bureau et les alentours, en vain...

Alors l'imposant Hayato Obayashi s'approcha avec hésitation. C'était pour lui une occasion inespérée qui ne se reproduirait pas de sitôt ! En effet, la belle Kaya se trouvait seule, tandis que ses deux amies, pots de colle sur les bords, n'étaient pas encore revenues de la bibliothèque.

— Tu as pas le droit de te défiler ! Sois un homme Hayato !

L'adolescent prit son courage à deux mains et tendit maladroitement son bento tout en baragouinant quelques mots étranges.

C'était invraisemblable ! Il l'avait fait... ! 

Lui, l'otaku en surpoids, s'était adressé à Sakurai, l'une des filles les plus populaires du lycée. Certes, ils avaient déjà été camarades de classe à plusieurs reprises depuis le collège, mais étonnamment, c'était la première fois que les deux adolescents partageaient un semblant d'interaction. La jolie Kaya, quelque peu surprise et intriguée, observait la boîte plastique en silence tandis que le cœur de Hayato était à la limite de l'implosion. Alors elle ouvrit enfin la bouche.

— Merci Obayashi-kun ! dit-elle de manière avenante. Je suis vraiment tête en l'air ! J'étais en retard ce matin et j'ai oublié de prendre mon bento.

Hayato ne sut quoi répondre...

— Je suis en train de rêver... ? s'interrogea t-il agréablement surpris par la réponse de sa camarade.

Celle-ci connaissait son nom... Plus surprenant encore, elle connaissait aussi son caractère altruiste et le complimenta à cet égard avec un doux sourire. Oui, cela ne faisait plus aucun doute, et même si c'était la nouvelle la plus improbable du monde, il s'avérait que Kaya Sakurai était bien au courant de son existence... !

Hayato restait debout sur place, raide comme un piquet, dégoulinant de sueur et incapable de dire le moindre mot. Kaya était assise face à lui de manière très détendue et comme elle le ferait avec une proche connaissance, elle lui racontait sa matinée dans les moindres détails. Elle le fixait dans les yeux d'un regard chaleureux, alors que les doigts de sa main gauche tapotaient délicatement le bento posé sur son bureau, presque d'une manière sensuelle. Cette interaction durait déjà depuis trois minutes tout au plus, mais le temps semblait comme figé, alors que Hayato s'était perdu profondément dans les yeux de sa camarade.

C'était incroyable à quel point elle était magnifique ! De près, sa beauté demeurait encore plus évidente. Son joli visage et ses grands yeux expressifs rayonnaient, sa peau blanche au possible lui donnait un côté pur, alors que le noir de ses longs cheveux parfaitement coiffés apportait un sublime contraste.

À cette distance, Hayato sentait même l'odeur fraîche et envoûtante de son parfum.

Porté par ses sens, emballé par cette proximité et cette situation inattendue, le garçon se laissa alors aller à un doux rêve :

— Est-ce que j'aurais une chance avec elle... ?

*

La semaine de cours était enfin terminée. C'était la délivrance pour l'ensemble des élèves, et surtout pour la jeune Kaya.

— Je meurs de faim ! murmura la jeune fille en entrant à l'intérieur du Konbini.

Comme à chaque fois après les cours, la déléguée et ses deux amies faisaient un détour par le 7-Eleven du coin. Dans le rayon épicerie sucrée, et peu en forme, Kaya se lamenta à propos de cette horrible fringale qui lui provoquait depuis quelques minutes de lourds vertiges et des douleurs d'estomac incessantes. Connaissant son petit appétit, ce fut l'étonnement pour ses deux camarades. En effet, le bento offert précédemment par Obayashi semblait consistant, notamment de part ses appétissantes crevettes panées. C'était une boîte à repas suffisamment généreuse pour remplir un estomac jusqu'au dîner, au minimum.

Après avoir froncé les sourcils comme si elle venait d'entendre des propos désagréables, Kaya répondit à leur interrogation avec une certaine agressivité.

— Vous rigolez ? Je préfère mourir que de manger ce truc...

Dans le rayon du fond, face à une rangée impressionnante de mangas en tout genre, un lycéen lâcha le volume du Jump qu'il lisait avec passion il y a encore quelques secondes. Les bras lourds, le teint pâle, la présence à cet endroit du pauvre Hayato demeurait purement fortuite, alors qu'il attendait un ami, inscrit dans l'autre lycée du quartier. Désemparé, le malheureux ne put que rester caché à écouter la terrible suite...

— Ce gros porc me dégoûte ! Vous avez vu ses boutons et toute cette sueur sur son visage ?! C'est immonde !!

L'aspect surdimensionné des différentes parties de son corps, le gonflement de ses grosses joues quand il souriait timidement, sa démarche lourde et ennuyeuse, ses performances pitoyables en sport, et son addiction aux sucreries et à la malbouffe, les filles n'omirent aucun détail pour le railler. Leurs rires moqueurs finirent de briser et de mettre l'adolescent à terre. Encore une fois, on se moquait de son poids, encore une fois on le traitait comme un animal de foire...

Assis à même le sol et recroquevillé sur lui-même, la respiration du pauvre garçon raisonnait faiblement comme les gémissements d'une proie blessée. En quelques instants, on avait brisé son rêve en mille morceaux et on avait piétiné son honneur de la pire des façons...

Elles s'en allèrent. Et alors que le silence était de retour dans l'épicerie de quartier, la douleur vive et impitoyable continuait de paralyser l'adolescent meurtri. Il tremblait... Il souffrait à en mourir... !

Toutefois, le garçon ne le savait pas encore, mais cette tristesse qui compressait atrocement son cœur ne durerait pas. Celle-ci était en fait vouée à disparaître. Bientôt, cette tristesse allait évoluer et se muer en une rage de vaincre insoupçonnée. Une énergie inédite qui allait changer l'existence de Hayato Obayashi à tout jamais...

*

© 2025 Umino Reiji. Tous droits réservés. Le second souffle de Hayato.


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2 - L'homme le plus rapide du monde