Chapitre 1-1 : Takeshi est mort…


La nouvelle nous a assommés. Elle a même détruit certains d'entre nous.

Plus tôt dans cette matinée, nous sommes encore insouciants, épuisés après une interminable séance d'athlétisme. Je tiens à peine debout, et monte difficilement les dernières marches menant au troisième étage, plombé par des maux de tête persistants. Ce dernier tour a eu raison de moi et de mon pauvre petit-déjeuner que j'ai expulsé sans avoir eu le temps de vraiment le digérer.

À peine arrivé à destination, on tombe sur un petit professeur au visage rond, caractérisé par des traits marqués et un regard sombre. Je crois bien qu'il enseigne dans la seconde 3. D'un ton inhabituel, celui-ci nous demande de nous asseoir sur nos chaises respectives. Une fois le silence installé, on remarque quelques bruits émanant de la salle des professeurs, des sons ressemblant à des pleurs et à des cris. Cela n'annonce rien de bon. Une certaine angoisse s'impose alors à nous dans cette éprouvante matinée. Je m'étais imaginé un bon nombre de nouvelles mais j'étais bien loin de penser à une telle tragédie. Takeshi ne s'était pas présenté en cours ce mardi là et nous savons maintenant pourquoi...

— Takeshi est décédé à la suite d'un accident de la route, je suis sincèrement désolé...

Je me souviens alors d'une seule chose, le visage incrédule du professeur qui m'observe perdre connaissance et tomber lentement à la renverse. Et puis... plus rien.

*

Takeshi avait 19 ans, il était l'élève le plus âgé de notre classe de terminal. En fait, il avait redoublé sa dernière année. Considéré comme un comique, tout le monde l'appréciait et même les professeurs, malgré ses absences répétées et ses notes moyennes. D'une certaine manière, un côté irrésistible chez ce jeune à la silhouette robuste et aux cheveux soignés semblait attirer la sympathie des autres. Ils appréciaient tous Takeshi Inoue, ils l'appréciaient tous sans exception.

Au lycée Yamashita, la star incontestée de l'établissement restait Takeshi Inoue, toujours sur le dos de son énorme moto 400 cm3. Impossible de le rater, lorsqu'il débarquait dans l'établissement quelques minutes à peine avant la sonnerie. Les puissants pots d'échappement de sa bécane sportive faisaient vibrer les vitres de notre classe. «Ah, ça y est Takeshi est arrivé», se disait-on. Alors comme à chaque fois, le gardien le grondait et lui filait quelques coups de balais bien placés.

Durant ces six mois de classe que nous avions partagés, je crois bien avoir parlé à Takeshi une fois ou deux tout au plus. Il n'était pas orgueilleux, bien au contraire. Malgré sa popularité, il saluait chaque personne, même les élèves les moins populaires et introvertis comme moi.

Je crois que nous avions des caractères diamétralement opposés, en effet presque tout nous séparait dans la vie. Il attirait naturellement l'attention, il aimait l'adrénaline, la moto, faire la fête et les jolies filles, alors que pour ma part j'ai toujours préféré la sécurité de ma chambre, les mangas, mon ordinateur et mes amis virtuels sur Line.

Logiquement, je ne devrais rien ressentir... C'était un simple collègue de classe et rien d'autre. Pourtant, la nouvelle de sa mort m'a assommé, au sens propre comme au sens figuré et j'en garde encore quelques douleurs au dos suite à ma lourde chute.

Kyoko, la petite amie du défunt a directement quitté le lycée en compagnie de ses parents. Toute pâle, le regard dans ses pensées, c'est elle qui a propagé la morbide nouvelle. Ce jeune adolescent, plein de vie, en parfaite forme, sûr de lui-même, ce jeune-là qui semblait parfois invincible n'était plus. C'est à peine croyable !

Certaines rumeurs disent qu'il avait percuté une voiture à pleine vitesse sur l'une des autoroutes de la capitale. Je ne peux enlever de mon esprit l'image macabre de son deux roues brûlant au milieu de la voie. Juste avant l'impact, avait-il compris qu'il s'apprêtait à quitter ce monde ? Avait-il eu le temps de ressentir quelque chose ? De la tristesse, de la peur, de la douleur...?

— Tenez les jeunes, c'est le numéro de la psychologue. N'hésitez pas à l'appeler, elle sera à votre écoute, dit Aruma sensei dont les yeux rouges et fatigués trahissent des pleurs et une vive tristesse.

Notre professeur principal aimait Takeshi comme un fils, et il l'assistait souvent au cours du soir. Il ajoute :

— Takeshi-kun avait raté le cours de soutien hier. Je l'avais un peu grondé au téléphone. Et plein de douceur comme toujours, il trouva les mots pour calmer ma colère...

C'est une autre anecdote poignante, il continue en citant le défunt.

— Merci pour tous vos efforts sensei, vous êtes le seul à croire en mes capacités...
Je ne mérite pas quelqu'un comme vous. Je décrocherais mon diplôme et je vous rendrais fier, c'est promis ! À demain !

Au final, il n'y a jamais eu de rencontre le lendemain... Et ce qui peinait le professeur principal c'était d'avoir soudainement raccroché après avoir lâché un «oui» peu convaincu. Et puis, le voici maintenant face à nous rongé par les remords. Malheureusement pour lui personne parmi nous ne sait quoi lui répondre... et il repart alors en silence, fixant l'écran de son téléphone portable.

                                                                                   

*

© 2022 Umino Reiji. Tous droits réservés. Une amitié au-delà de la mort.


Suivant
Suivant

Chapitre 1-2 : Bagarre en pleine salle de classe