Chapitre 2-4 : Illusion ou Réalité ?


«C'est un miracle comme on en voit une seule fois dans une vie».

Ce sont les propos des différents spécialistes ayant évalué mon état de santé. Normalement, en suivant la logique même, je ne devrais plus être présent. Mais quelque chose, non, quelqu'un, avait voulu que je survive ce jour-là.

Un traumatisme crânien, une hémorragie interne, un choc sévère aux cervicales, quatre côtes cassées, et des abrasions sur les avant-bras et d'autres multiples parties du corps. Voilà les conséquences de l'impact avec ce véhicule de trois tonnes m'ayant fait voler sur quelques dizaines de mètres. Immobile, sur mon lit d'hôpital, je ne me souviens que vaguement du choc et de cette soirée-là.

Malgré le port de cette encombrante attelle thoracique et de cette minerve, chaque geste, même le plus petit qui soit, reste une horrible souffrance. J'observe le plafond monotone de ma chambre pendant des heures et des heures durant. Mais étonnement, ce temps-là n'est pas constitué d'ennui pur. Même l'ennui avait maintenant une saveur inestimable. Celui-ci représentait le temps d'une deuxième chance, d'un nouveau départ.

Il y a deux mois, Takeshi n'avait pas survécu à son accident, et maintenant, c'était à moi d'en subir un. Mais pour une raison qui m'échappe encore, je devais survivre. Au change, je pense que toute ma classe aurait préféré le garder en vie à mes dépens, mais pourtant les professeurs et mes camarades avaient montré un grand enthousiasme à la suite de mon réveil.

Les témoins furent Aruma sensei, Hayakawa-san le délégué de notre classe, et Ogura-san. Venus me rendre visite quelques jours après mon accident, ils assistèrent à un autre miracle qui venait s'ajouter à la longue liste de cette histoire, celui de mon réveil prématuré, trois jours seulement après l'accident. Sensei en avait pleuré de joie.

Luffy, le héros de One piece me surveille de la petite étagère installée à ma droite.

Je déteste ce manga, je n'ai jamais pu le blairer ! Cette illustration d'un calendrier m'observe avec un grand sourire exagéré, le poing en avant, avec son chapeau de paille attaché autour du cou.

Sur chacune des dates du carton figure un prénom, ceux des élèves qui me rendront visite quotidiennement lors des prochaines semaines afin de m'apporter mes devoirs.

Décidément, on ne voulait pas me laisser en paix, à peine réveillé et on me rappelait à mon quotidien de lycéen et à toutes ses joyeusetés.

— C'est essentiel pour l'obtention de mon diplôme, insistait Aruma sensei.

Chaque jour, donc, un élève serait là pour me garder socialement lié à notre classe.

C'était une corvée de deux kilomètres à se farcir, distance entre le lycée et l'hôpital universitaire de Tokyo, et ce une fois par mois pour chacun des trente élèves de notre classe. Une corvée qui avait au moins le mérite de les dispenser de devoirs.

Je me demande si Hiroshi osera pointer le bout de son nez, lui et son gros corps imposant... Je découvre que sa venue n'est pas prévue avant quinze jours. Ouf !

Vu mon immobilisation forcée, peut-être qu'il gagnerait le combat cette fois-ci...

En fait, la venue d'une autre personne m'intrigue bien plus. Celle de Kyoko, la petite amie de Takeshi. Enfin son ancienne petite amie devrait-on dire vu les circonstances...

Hum, rien au 13, 14 et 15 Novembre... Rien non plus la semaine suivante, et pour celle qui suit non plus. Le cœur battant, je vérifie deux fois et ne trouve aucune date prévue pour sa visite, avant de poser mon index sur la date du 6 Décembre. Son prénom est soigneusement écrit en rose, caché par les deux autres notées de façon plus imposantes à sa gauche et à sa droite.

Elle serait donc là dans un peu moins d'un mois...! Je souffle une deuxième fois de soulagement. Je dois dire que je redoute sa venue bien plus que celle de Hiroshi, pourtant il semblait acté que l'on n'en viendrait pas aux mains elle et moi.

Dans le fonds, je savais que ce qui m'attendait était plus redoutable encore. Je devrais parler à une magnifique jeune fille de 18 ans. Oser la regarder dans les yeux malgré mon état pitoyable. Être accueillant avec un brin de discussion pour cacher ma timidité. Puis, nous allions devoir parler de Takeshi, nous allions devoir briser le tabou de sa mort. Et plus compliqué encore, il me faudra lui raconter ce rêve que j'ai expérimenté, et la fameuse promesse.

Plus le temps passe, plus les détails de ce rêve deviennent imprécis dans ma mémoire. Ainsi, malgré la douleur, je m'efforce de noter les moindre détails sur une des pages du calendrier. Je fais même un dessin représentant le Takeshi de la barrière.

Comment aborder cette histoire pour le moins surnaturelle sans brusquer Kyoko ? Et puis comment réagira-t-elle ? Est-ce qu'elle se mettra en colère, éclatera-t-elle en sanglot, me croira-t-elle ou me prendra-t-elle pour un fou, est-ce que...?

Stop ! Je m'arrête quelques secondes et laisse mon cerveau décompresser.

Impossible d'en vouloir à Kyoko si elle ne m'accordait aucun crédit. Et pour cause, moi même, je ne suis pas certain d'avoir véritablement parlé à Takeshi. Il se peut qu'il fût simplement le fruit de mon imagination, la conséquence de mes après-midi morbides, à visiter un mort dans un cimetière. Peut-être qu'à force de vraiment vouloir un ami, et de regretter celui qui aurait pu être le mien, j'avais inconsciemment inventé une connexion entre nous.

Peut-être même que dans un excès de folie, j'avais volontairement traversé à l'aveugle ce jour-là, pour provoquer cet accident... et pour le réjoin... Non ! Qu'est-ce que je raconte ? Depuis mon réveil, mon cerveau cogite trop. Je suis un imbécile heureux, mais certainement pas un suicidaire... Enfin, je l'espère...

Même si cela ne m'enchantait pas, je devais et je voulais dire la vérité à Kyoko. Déjà à cause de la promesse. Et puis parce que ce message d'un autre monde, avait peut-être un sens profond que j'ignorais, une utilité qui viendrait soulager et aider l'adolescente.

Je ne connaissais rien de ce couple, et je n'avais aucunement connaissance d'une «promesse». Cela semble bien trop intime, trop personnel pour parler à un étranger comme moi.

Dans tous les cas, je n'ai pas le choix. Je vais devoir le faire. Dans le fond, c'est mon unique moyen d'obtenir la réponse à une question primordiale : Est-ce que cet échange avec Takeshi a bien été réel ?

Selon la réponse de Kyoko et son explication à propos de la promesse, j'aurais un verdict. Une piste pour mon cheminement spirituel et cette incroyable possibilité. Cette possibilité qu'il y ait quelque chose de l'autre côté, qu'il y ait une amitié au-delà de la barrière... et par conséquent une vie au-delà de la mort.

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© 2022 Umino Reiji. Tous droits réservés. Une amitié au-delà de la mort.


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Chapitre 2-3 : L'arrivée des trains